Tout commence à Heimaey.

De nobles conteurs, à l'esprit empli de légendes et de hauts-faits, parcourent souvent notre belle place ! Venez les écouter !

Tout commence à Heimaey.

Messagepar Honeybunch » Ven 17 Mars 2006, 11:19

Voici une histoire qu’un ami m’a racontée il y a peu.
C’est une histoire d’un temps que certains d’entre vous ont connu.
Avant l’arrivée des Frostalfs, des Demi-Ogres et des Shars… il y a des années.
La Reine Noire, venue du Néant avec ses troupes, menaçait les trois royaumes, et le pacte nécessaire à la survie d’Hibernia, d’Albion et de Midgard avait amené les meilleurs combattants des royaumes habituellement ennemis à s’unir.

Ces derniers temps, je n’ai pas beaucoup été présente. A vrai dire, mes occupations m’ont amenée à parcourir nos belles contrées pour soulager la douleur des souffrants et essayer de guérir les malades.
Et le soir venu, fatiguée par une rude journée, il m’est parfois arrivé de me reposer à Tir na Nog, dans une auberge, près d’un bon feu, parmi les rires et les cris joyeux d’Hiberniens en bonne santé.

J’avais donc passé quelques heures, attablée et solitaire, savourant divers thés, bien installée dans un coin sombre de la Rose Verte, observant les aventuriers venus choisir une monture digne de leur rang, mais aussi deux Messagers qui, eux, semblaient davantage intéressés par les alcools servis au comptoir que par les magnifiques chevaux en vente dans la grange d’en face.
Ainsi, Mukiseshi assiégeait le bar en galante compagnie.
La soirée coula comme le sable, et lorsque la guerrière posa définitivement sa tête sur le zinc, Mukiseshi se leva et vint vers ma table en titubant.
S’asseyant près de moi, l’œil jaune et l’haleine chargée, il soupira un grand coup et se lança dans un récit dont je vais essayer de vous transmettre la teneur, même si elle est bien loin des propos mièvres et sans relief qui sont habituellement les miens.
Pardonnez les mots parfois crus qui suivent, mais ce sont les siens.


Tu sais, Honey, il y a une drôle d'histoire que j’ai envie de te raconter depuis longtemps, et là, ce soir… ici et maintenant, je suis mûr pour te la dire… alors j’y vais.

J’étais jeune et insouciant et pour fuir les travaux de la ferme ou la dure vie de pêcheur, je m’étais engagé dans la voie des Ombres et l’occasion était bonne : les meilleurs aventuriers se rassemblaient pour aller combattre la Reine Noire sur Heimaey, une mystérieuse île dont personne n’avait encore entendu parler.
Je quittai Connla un beau matin sans idée de retour.
Le voyage fut redoutable pour mes boyaux, d’abord à cause de la mer agitée et ensuite à cause de tout l’alcool qu’on avait bu en route, et c’est un peu diminué que je mis le pied sur Heimaey.

Rapidement, je compris que seuls les fiers-à-bras du cinquantième cercle avaient leur chance, aussi décidai-je avec prudence de me tenir loin des mauvais coups.
Et je passai donc la journée à explorer nonchalemment les alentours du fort qui abritait la Reine Noire et ses vilains, en évitant de me mettre en danger.

Même si on y fait rien, il y a toujours des choses à observer sur un champ de bataille.

A distance des combats, une grande et belle avalonienne incantait.
Ce qui m’avait attiré au premier regard, c’était la magnificence de ses sorts et la finesse de son art, et l’envie subite m’était venue de la voir de plus près.
Un avalonien aux longs cheveux blancs la rejoignit, mais trop tard, j’étais déjà en route…
Je m’approchai ombresquement, certain d’être silencieux et invisible et, sans m’avoir entendu, sans avoir vu ma bouille, en deux sorts puissants, ils m’avaient rousti les poils du nez et gelé les oreilles.

Ah la la ! Maudits sorts de zone ! J’étais tombé en pleine parade nuptiale de thaumaturges et il me fallut claudiquer tant bien que mal vers un coin tranquille où je savais trouver du secours.

Derrière une palissade sommairement dressée par quelques nains industrieux, officiaient quelques soigneurs et je soufflai en reconnaissant la silhouette d’un grand ovate Firbolg que j’avais déjà croisé sur notre bonne Hibernia.
Discrètement et très inquiet en même temps, je lui montrai mes oreilles toutes bleues et il me conseilla en souriant de rester debout près du feu en attendant que je puisse à nouveau m’asseoir, et il m’assura qu’elles ne tomberaient pas.
Rassuré, j’obéis, me réchauffant lentement tandis que la nuit s‘installait.
Il y avait là plusieurs ovates : un nain, un gros troll et deux highlanders - je peux te dire qu’ils ne portent rien sous leur kilt - et du coup, nous étions une paire par Royaume.
Si les choses devaient mal tourner, le combat serait équilibré.

Comme j’étais tout occupé à les regarder soigner les combattants qui sans cesse venaient se faire requinquer, ce n’est qu’au bout d’une bonne demi-heure que je me suis aperçu qu’ils ne s’occupaient pas d’une femme dont la tête seule dépassait d’une large pelisse.

Couchée sur le flanc,ses longs cheveux noirs plaqués sur son visage par la sueur, les dents serrées, elle semblait vouloir souffrir à l’écart des morts et des mourants, avec la plus grande application : ouais… j’ai vu dans son regard une immense volonté, une volonté implacable… et pourtant, elle m’avait l’air au bout du rouleau.
Je me suis avancé vers elle en lui disant les mots qu’on dit quand on vient en paix : « moi… ami… », et elle me répondit que mon aide allait lui être utile.

Et le truc bizarre, c’est que le son des mots qu’elle disait m’était étranger, mais je les comprenais !

Sacrebleu ! Elle parlait je ne sais quelle langue, mais j’en saisissais tout le sens.
J’interpellai les ovates, leur montrant la pauvre fille, mais le Firbolg me répondit qu’ils avaient tout tenté et que rien ne pouvait soulager le mal dont elle souffrait.

Lentement, la fille écarta la peau de bête qui couvrait son corps, et je compris : elle était presque nue, et la peau de son énorme ventre tout arrondi, tendue comme un tambour, laissait deviner des mouvements : elle avait un truc qui bougeait dans son ventre.
J’avais jamais vu ça, diantre !

C’était un accouchement, c'était la première fois que je voyais ça et j’ai senti que ça allait mal se passer.

Et puis il y eut ce flot de sang, et je vis dans son regard qu’elle savait qu’elle allait mourir.
J’appelai une nouvelle fois les ovates et ils firent cercle autour de la pauvrette, et, sous leurs regards effarés, elle saisit sa dague et, les yeux déjà vitreux, elle entreprit de libérer de sa prison de chairs déjà blêmes le polichinelle qu'elle avait dans le tiroir.

Mais les pauvres gars venaient de vivre une journée d’horreurs. Ils en avaient déjà trop vu : les deux clercs se mirent à prier, la sentinelle s’effondra en pleurant, et le nain se mit à vomir.
Le troll, peut-être las d’une sale journée, termina ce geste terrible : d’une entaille ferme et large, il fendit le ventre de la fille qui venait d’expirer.
D’un corps que la Vie venait de renier sortit un enfant aussi rose qu’un nouveau-né peut l’être.

Puis un second…

Puis un troisième.

Deux filles et un garçon.

Lorsque le jour se leva, nos cœurs pourtant endurcis pleuraient devant les dernières braises d’un bûcher rougeoyant. C’est tout ce qui restait de la pauvre mère.
Le troll, le vieux clerc et la sentinelle tenaient chacun contre sa poitrine un petit être tout frêle.
Le vieil albionnais avait insisté pour prendre le garçon en promettant de s’en occuper.
Comme j’avais eu le temps de me lier au jeune highlander - nous partageons une passion commune pour les boissons fortes et c’est d’ailleurs avec lui que je traficote une gentille petite contrebande entre Orcanie et Ys - je peux te dire que j’ai des nouvelles de ce petit garçon et qu’il est devenu moine.

Pour les fillettes, je ne peux rien te dire...
D’abord parce que je n’ai jamais revu les midgardiens…
Et puis aussi parce que j’avais décidé d’oublier cette histoire… d’autant que le Firby m’a fait promettre de ne rien dire et de tout oublier : il se chargeait de tout.

Seulement voilà… le temps ne m’a rien fait oublier et la culpabilité vient me ronger chaque jour un peu plus.
Et les larmes qui tombent dans l’alcool de mes verres sont plus amères et plus douloureuses que celles que j’ai versées dans la mer en quittant Heimaey, regardant l’île disparaître derrière l’horizon.

Alors chaque fois que je croise une celte sur nos terres, je me dis que ça pourrait être cette petite fille qu’on a ramenée.
Et j’essaie de retrouver en elle, dans ses yeux, la force que j’ai vue autrefois dans ceux de sa mère.
Tu vois, la chouquette qui somnole sur le comptoir, ben... elle a un peu de cette force en elle…


Là, je saute un peu parce que je n'ai pas tout bien compris : Mukiseshi s'est mis à parler de chevelure qui, étalée sur un oreiller, flamboierait comme le soleil du premier matin du monde, et d'autres trucs vraiment hors de ma portée.

Tu vois, c’est ma douleur… et je la traîne comme un boulet… mais comme je l’ai promis : il ne s’est rien passé… non... rien…

Sur ces mots, Mukiseshi s’endormit comme soulagé d’un poids trop lourd pour lui et il ne se rendit pas compte que je le portai dans la grange, où il finit sa nuit couché sur un lit de paille moelleuse.

A cette histoire d’alcoolique, on pourrait trouver une jolie conclusion dans le style :
"Depuis, des fleuves de sang ont coulé sous les ponts du Temps, mais je me souviens de celle qui, ce jour-là, fit plus qu’offrir sa vie pour les Trois Royaumes.
A chaque Royaume, elle offrit une vie
."

Mais il y en a peut-être une autre ?
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Honeybunch
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Messagepar Elindel » Ven 17 Mars 2006, 11:49

<Finis son verre d'hydromel sur ces dernières paroles et quitte sa table le sourire aux lèvres et se dirige vers l'orateur du moment.>
C'est un trés beau récit Honeybunch, je n'aurai pas cru qu'une telle histoire aurait pu naitre de la haine qui oppose nos trois royaume. Tu m'a redonné espoir quant à l'épilogue de cette guerre qui nous déchire depuis des siècles.
Merci.

PS : Doit on attendre une suite? :roll:
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Messagepar Honeybunch » Dim 02 Avr 2006, 10:51

Merci Elindel.

Mais je ne mérite pas tes compliments puisque je n'ai fait rien d'autre que transcrire une histoire de taverne.

Tu voudrais savoir la suite ?
Moi aussi.

Le lendemain, j'ai croisé Mukiseshi à Tir na Nog, non loin de la Salle de la Furtivité : il portait la même robe d'Eldritch que la veille, et sa robe était encore parsemée de paille et tachée de vin.
Il disait ne se souvenir de rien, et que je devais le confondre avec un autre.
Et puis il s'est dirigé vers la salle de Blathnaid, l'instructeur des Ombres.

J'ai attendu... et l'ai vu sortir quelques temps après dans une seyante tenue de cuir.
Et à l'instant où j'allais à nouveau le questionner, il a disparu !


Alors je vais essayer de me renseigner davantage sur Heimaey, essayer de rencontrer des gens qui y ont combattu.
J'aimerais retrouver cette petite fille et savoir ce qu'il est advenu d'elle.
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Loin d'Hibernia, au delà des frontières...

Messagepar Honeybunch » Jeu 29 Juin 2006, 13:14

Il descendait la colline sans se presser, tout heureux d’avoir réussi un joli coup.

Evidemment, de rugueux Highlanders des Monts Ténébreux l’avaient croisé et s’étaient une fois de plus demandé ce que le petit moine faisait, son énorme cylindre de cuir en bandoulière.

Il sentait crisser le sac contre le cuir de son pourpoint et, bercé par le murmure des bâtons qui s’entrechoquaient à chaque pas, il fit un détour pour admirer une fois encore le grand animal que les Anciens, il y a longtemps, avant même le temps des druides, avaient taillé dans le calcaire des collines escarpées.

Chaque samedi, il se rendait à l’hospice de Château Swanton à cheval et redescendait lentement en marchant vers Camelot pour que s’atténuent les sentiments qui le troublaient après avoir passé quelques heures en compagnie d’anciennes gloires d’Albion.

Château Swanton offrait un accueil confortable et raffiné aux guerriers fatigués, aux mages en retraite, et aussi aux chefs de guildes surmenés. Un endroit calme et isolé où les sens mis au repos pouvaient permettre d’oublier toute forme de stress.

Et pourtant, il fallait les voir, après le repas, écarter les reliefs et les assiettes sales et, à l’aide d’un pichet (qui représentait le moulin) et de petites figurines en mie de pain ou en crottes de nez, refaire une fois encore les grandes batailles d’Emain, du temps des murailles, du temps passé, du temps que le petit moine n’avait pas connu.

Ainsi, chaque semaine, il rendait visite à ceux qui lui avaient tendu la main et fait de lui un bon serviteur du Royaume.
Cendrine, noble paladine qui l‘avait accueilli dans sa Guilde, lui faisant découvrir le sens des mots honneur et dévouement.
Moonboots, un paladin qui lui avait montré les confins du Monde.
Et Zomas, cabaliste devenu fou qui, à la tête d’une alliance maintenant disparue, l’avait souvent conduit vers la mort, et quelquefois vers la gloire.

La folie de Zomas était étrange : il se croyait tout simplement le héros d’un monde bizarre peuplé de créatures féériques, de monstres menaçants, et comme il n’était pas seul à souffrir d’une semblable affection, les clercs décrétèrent qu’il s’agissait d’une épidémie à laquelle le nom de Wowite fut donné.
Enfin… celà ne nuisait pas à la défense du Royaume : Zomas et ses semblables étaient bien considérés et on prenait soin d’eux, y compris des thaumaturges qui, à force d’avoir subi les coups de marteaux de trolls impitoyables, ne vivaient plus tout à fait dans un monde cohérent.

Moonboots avait été un mentor respecté et apprécié.
Le petit moine s’était longtemps demandé quel visage pouvait avoir cet homme qui lui avait tant appris : Moonboots n’enlevait jamais son heaume en public et il se murmurait même qu’il le gardait pour dormir.
Plusieurs fois, le petit moine s’était surpris à espérer que le paladin, au détour d’une conversation, tende la main vers lui et lui dise : " Nanroa… je suis ton père… ".
Le petit moine ne savait pas qui était son papa.

Et puis il y avait Cendrine, solide et jolie paladine, mais le petit moine n’avait vu en elle que gentillesse et patience, et c’est grâce à Cendrine qu’il avait pu grandir sans se soucier des pièges que la vie tend aux innocents : elle avait toujours été présente, le protégeant et l’encourageant, faisant de lui un adulte respectueux d’autrui.
Plus d’une fois, il avait rêvé qu’un jour Cendrine lui révèlerait qu’il était son fils... son fils caché pour fuir les foudres de l’Eglise d’Albion.
Le petit moine ne savait pas qui était sa maman.



Il cheminait vers la capitale, frappant d’un coup de bâton bien choisi, plus ou moins lourd selon la portée désirée, une petite sphère de marbre blanc pour la faire entrer dans un trou hors de vue qu’il avait repéré, puis un autre… et un autre encore, suivant le même parcours depuis des mois, un parcours connu de lui seul.

Cela l’aidait à se rapprocher de la Nature.
Et peut-être aussi à s’éloigner des Hommes.

Seul ou au milieu d’une foule, il se sentait toujours seul.
Ou presque : sans ses deux chères et tendres épouses, la Vie lui paraissait fade.
Le petit moine était bigame.

Ce n’était pas de sa faute. Il avait longtemps encaissé sans rien dire les quolibets de ses compagnons d’armes qui se moquaient de la supposée pauvre vie amoureuse des moines.
L’Amour en avait décidé autrement.
Une première flèche avait percé le cœur du petit moine tout près d’ici : il se souvenait encore du jour où Kormorann l’avait envoyé aider Umiraldric, jeune clerc, à explorer les Mines de Tepok.
Autant Kormorann était un vieil Highlander renfrogné, un vétéran qui avait connu la guerre contre la Reine Noire, il y a longtemps (le petit moine était né cette année-là), autant Umiraldric était une Bretonne belle comme une fleur et douce comme le miel.
Hélas, après des années d'heureuse complicité, Umiraldric avait disparu : le petit moine erra longtemps, la cherchant dans tous les royaumes et, convaincu de sa disparition, il devint solitaire.

Un solitaire qui erre finit toujours par rencontrer un autre solitaire.
Ou plutôt une solitaire, car l’âme en peine que le petit moine rencontra était une paladine, une fille native des Monts Ténébreux, dont l’histoire ressemblait à la sienne : elle avait aimé un beau Breton, il avait disparu laissant son cœur brisé.

Deux cœurs brisés qui se rencontrent peuvent n’en former qu’un.
C’est ce qu’il advint et, après de longs mois d’une cour assidue, le petit moine demanda à Maricia de lui accorder sa main : Maricia accepta et le mariage fut célébré par la prêtresse de Ceridwen, tout près d’Avalon, là où subsistent encore des serviteurs des cultes anciens que l’Eglise de la Lumière n’a pas réussi à effacer.

Les années passèrent dans un tourbillon de bonheur retrouvé : la Vie est plus forte que tout.

Puis Umiraldric revint, accompagnée d’une jeune fille qui lui ressemblait, et qui ressemblait au petit moine : leur fille.
La jeune fille s’appelait Umiralnan et elle était comme un rayon de soleil qui venait le réchauffer.

Evidemment, les sages de l’Eglise se réunirent et parlèrent d’annulation, d’antériorité, sans compter le scandale provoqué par la liaison d’un moine avec une paladine et, comble de l’horreur, une clerc.

Un bûcher fut dressé devant la cathédrale de Camelot et, finalement, le petit moine put retrouver ses deux épouses, car le mariage étant interdit aux moines, clercs et paladins, il aurait fallu brûler beaucoup trop de monde et, après tout, la bigamie n’était qu’une variante du mariage.
Et le ventre de Maricia qui s’arrondissait ne pouvait qu’appeler à la clémence.

En vérité, le petit moine ne se sentait vivre qu'en compagnie de ses deux Amours, et leurs balades l'enchantaient.



Ainsi donc, le soleil était encore haut lorsque le petit moine arriva en vue de son trou préféré : une tanière. La petite bille de marbre blanc était là, tout près.
Comme d’habitude, la vieille louve grise le regardait arriver et, comme d’habitude, elle avait mis ses petits à l’abri depuis longtemps et se contentait d'observer le moine, sans bouger. Elle savait que le dérangement ne durerait pas et qu'il ne lui ferait aucun mal.
Il choisit un bâton léger, prit une pose plutôt comique et frappa la bille avec application : la sphère disparut dans le boyau sombre.
" Va, ma jolie…Va chercher la balle… " Il ne savait pas si la louve comprenait ses paroles, mais il savait que sa balle n'était pas perdue : chaque fois, la bête lui ramenait son jouet.
La louve s’engouffra dans son logis mais, cette fois-ci, elle en ressortit tenant entre ses crocs une grosse boule de poil rousse : un jeune loup flamboyant qu'elle déposa aux pieds du petit moine, lui faisant bien comprendre qu'il fallait l'emmener.
Il se pencha avec précaution vers la petite bestiole, la prit dans ses mains et l'éleva lentement vers son visage, l'examinant avec soin.
" Hum… c’est parce qu’il est différent de tes autres enfants que tu le renies ?
Eh ! Mais c’est une petite louve !
Pauvrette… Attend : je vais te réchauffer… Voilà : je te mets contre mon cœur, entre ma peau et mon pourpoint. "

Puis il marcha en direction des deux tours qui gardaient l’accès au pont de pierre, sans terminer son parcours habituel, se demandant ce qu'il allait bien pouvoir faire de sa trouvaille.
Après, plus au sud, il y aurait Ludlow, puis Cotswold et Camelot. Il avait le temps de réfléchir.

Le truc étrange se produisit alors que les gardes du pont étaient en vue et qu’il entendait leur conversation : le contact de l’animal sur sa poitrine changea, et lorsqu’il le regarda, il n’en crut pas ses yeux : une petite fille lui souriait. Une petite fille rousse.

Le petit moine se ressaisit vite. Moonboots lui avait appris à ne jamais paraître surpris, mais cette fois-ci, sa maîtrise avait failli lui faire défaut.
" Bon… on va éviter les gardes… leurs questions risquent de m’embarrasser, et puis ils voient de la sorcellerie partout ces gens-là ", pensa-t-il.

Il les salua d’un signe de la main et ils comprirent que ce soir il leur faudrait trouver un autre passant pour converser en attendant la relève.
Ils savaient le petit moine parfois bourru et certains jours, il ne faisait pas bon se montrer par trop insistant avec lui.

Traversant le pont, il s’adressa à la fillette :
" je ne pense pas que tu sois réellement une fillette, pas plus qu’une jeune louve, mais si tu me comprends, sache que je t’aiderai jusqu’à ce que tu puisses survivre sans aide… et si tu as des parents, j’espère que nous les retrouverons "...

Toute son enfance lui revint en mémoire. Enfant recueilli par un vieux clerc puis élevé par des moines.
Qui étaient ses parents ? Etaient-ils encore en vie ? L'avaient-ils abandonné ?
Autant de questions douloureuses restées sans réponses.

Et avec cette petite créature, toutes les anciennes blessures allaient peut-être se rouvrir : il en avait peur.



Qui aurait pu savoir qu’un vol de fées avait traversé Albion la nuit précédente ?
Et qu’aucune d’elles ne s’était rendu compte de la disparition de la plus jeune ?
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