<Il sait qu'il va partir... Juste quelques jours mais l'idée d'être loin d'elle le met en peine. Il n'entendra pas sa voix, il ne vera pas son sourire sur son visage. Pourtant, il reviendra, c'est une certitude, il n'est pas encore partit et pourtant... Elle lui manque tant. Il prend un parchemin et écrit les mots. Ils sautillent dans son esprit qui ne fait aucun effort. Les lignes se couvrent, la page blanche noirci...>
Le soleil était déjà haut et pointait bien au dessus de l’îlot. Assis non loin d’un groupe de Pooka, un homme regardait l’horizon. Son esprit vagabondait bien au delà de sa ligne de vue. Le soleil réchauffait doucement son visage paisible et nul doute que ses songes étaient heureux. Sur son visage se reflétait la satisfaction de ceux qui sont contents de leur sort. Un léger sourire achevait de marquer sa joie et bien que ses yeux étaient fermés, il ne faisait aucun doute qu’ils pétillaient. Nul n’aurait pu dire ce qui le rendait radieux, de doux souvenirs, ou des perspectives prometteuses.
Une silhouette fine et légère s’approchait lentement de lui. Trop svelte pour être une celte, trop grande pour être une lurikeen, il ne pouvait s’agir que d’une Elfe. Elle était vêtue d’une robe verte foncée et d’une capeline violette. Son abondante chevelure verte tombait en cascade sur ses délicates épaules. Son port était celui d’une reine, elle se tenait droite, le cou tendu, sa démarche était légère. Sa volonté de surprendre le rêveur était évidente. Elle faisait tout pour s’y appliquer. Sans doute une épreuve, ou une façon de se placer au dessus de l’autre pour dominer les échanges.
Lorsqu’elle arriva a quelques pas de lui, l’homme ouvrit les yeux et regarda dans sa direction. La surprise effaça son sourire béat et leurs yeux se croisèrent. Ils se toisèrent quelques instants, chacun voulant jauger la volonté de l’autre. Enfin, le celte se leva. Un rayon de soleil passa et se refléta sur l’armure dorée. Le silence dura encore quelques secondes et enfin l’un d’eux prit la parole :
- Dame Déliana… Car c’est bien vous n’est ce pas ? ? ? Vous voilà bien loin des mur froids de Tir Na Nog. Est ce pour me voir que vous avez fait tout ce chemin ? ? ? Je me demandais si un jour nos chemins se croiseraient. Il se dit tant de chose sur vous….
- Vous êtes bien présomptueux Siris FauconNeige de croire que j’aurais pu envisager de gaspiller cinq pièces d’argent pour vous rencontrer. Que croyez vous ? ? ? Vous êtes largement aussi sot que je l’imaginais. Sot et naïf. Je me dirigeais vers le repère des araignées et voyant un homme endormi au milieu d’un groupe de pooka, je me proposais que lui sauver la vie. Rien de plus, rien de moins. Je remarque que vous êtes seul… Ou est donc passé la belle Anaël, vous aurait-elle abandonné ? ? ?
A l’évocation du nom de sa bien aimée, le visage Siris reprit son sourire joyeux, et il lui répondit :
- N’ayez crainte Déliana, Anaël est toujours avec moi, quelque soit le lieu, quelque soit l’endroit et cela à chaque instant de la journée ou de la nuit.
- Voilà des propos bien étranges… J’ai la vue perçante de ceux de ma race et je ne la vois nulle part. Néanmoins je crois comprendre ce que vous voulez dire malgré toute votre maladresse et cela vous honore.
Le silence régna de nouveau, ils se tenaient là face à face, puis Siris se rassit sur l’herbe, Déliana l’imita. Ils restèrent un moment a s’observer. Déliana prit la parole :
- Vous êtes une bien curieuse personne Siris à croire que ce qui vous entoure n’a pas de prise sur vous. Vous restez là avec insouciance près de créatures qui ne souhaitent que vous piétiner. Vous contemplez le soleil levant ou couchant… Il y a dans votre regard bien autre chose que ce qui devrait s’y trouver. Je croyais pourtant que les porteurs d’épée ne vouaient leur vie qu’à la guerre, que rien ne les faisait plus vibrer que le fracas de la bataille. Qui es-tu Siris FauconNeige, qui est celui qui se cache derrière ce bouclier d’acier et de magie ? ? ?
Le protecteur d’abord mal à l’aise regarda l’îlot et se détendit. Il frotta ses mains l’une contre l’autre, les tourna les paumes ouvertes vers lui, il regarda longuement les lignes qui les parcouraient. Ils les avança, doigts écartés comme pour que quelqu’un s’en saisisse. Ralentissant son souffle, il rentra a l’intérieur de lui même pour mieux s’imprégner, pour mieux trouver sa vérité :
- Je suis la brise légère qui caresse son visage, je suis la terre qui la porte, je suis le soleil qui décline dans un ciel de feu. Je suis le nuage qui flotte dans l’azur, je suis la lumière qui se reflète sur l’eau claire du lac. Je suis la feuille d’automne qui s’accroche et tombe de l’arbre, je suis le flocon qui se pose sur un tapi blanc de neige. Je suis la rivière qui coule dans la vallée, je suis la pierre arrachée aux entrailles de la terre. Je suis la fleur aux multiples couleurs, je suis le parfum sucré d’une journée de printemps, je suis la pluie qui tombe. Je suis l’aube rougeoyante dans la fraîcheur du matin, je suis la mer qui s’étire sur la plage. Je suis tout cela et bien plus encore.
Le protecteur marqua une pause, tourné vers lui même, il ne voyait plus Déliana, tout son être était tendu vers quelqu’un d’autre.
- Je suis l’air qu’elle respire, je suis son sang. Je suis son cœur, je suis son parfum. Je suis l’eau qu’elle boit, je suis le feu qui brûle en elle. Je suis celui qui pose ses mains dans les siennes, je suis celui qui caresse son visage. Je suis celui qui respire ses cheveux. Je suis celui qui la regarde et celui qui la vois, je suis celui qui l’écoute et celui qui l’entend. Je suis celui qui la réchauffe lorsqu’elle a froid, je suis celui qui la rassure quand elle a peur. Je suis le bouclier qui la protège, je suis l’épée qui la défend. Je suis celui qui glisse dans ses rêves, je suis celui qui brille dans ses yeux. Je suis le sourire sur son visage, je suis celui qui marche à côté d’elle. Je suis l’enfant devenu homme, je suis le faible devenu fort. Je suis celui qui l’entoure de ses bras, je suis celui qui la sert contre lui. Je suis tout cela et bien plus encore.
Le corps de Siris fut pris d’un frisson, Déliana le regardait toujours fascinée et silencieuse.
- Je suis mélancolie, je suis tristesse, je suis éclat de rire, je suis joie. Je suis le temps qui passe, je suis passé, je suis futur. Je suis instant, je suis éternité. Je suis jour, je suis nuit, je suis soleil, je suis étoile. Je suis peur, je suis douleur, je suis sûreté, je suis plaisir. Je suis doute, je suis certitude. Je suis crainte, je suis réconfort. Je suis celui qui tremble, je suis colère, je suis fureur. Je suis tendresse, je suis complicité, je suis sentiment, je suis admiration. Je suis celui qui comprend, je suis celui qui sais, je suis celui qui devine. Je suis celui qui apporte, je suis celui qui donne, je suis celui qui partage, je suis vigilance. Je suis celui qui aime, je suis celui qui est aimé. Je suis tout cela et sans elle, je ne suis rien. Voilà qui je suis Déliana, voilà ce que je suis.
Aucun grimoire n’avait préparé la magicienne a cela, les mots trouvèrent écho et pour la première fois depuis de longues années, Déliana fut touchée. Siris avait parlé avec douceur et d’une sincérité profonde. Tout cela allait à l’encontre de ce qu’elle avait construit avec tant d’acharnement, tout cela était ce qu’elle avait toujours redouté, tout cela était un souvenir encore vivace qu’elle ne pouvait oublier. Son orgueil céda la place à ce qu’elle était vraiment et c’est en ces termes qu’elle s’exprima :
- Siris, personne avant vous n’avait réussi a répondre à cette question, personne avant vous n’avait réussi à donner tant de sens à ce mot. Pourtant, vous ignorez tant de choses… Tant de choses sur tant de sujets et même sur celui ci que vous évoquez avec tant de grâce. Sachez Siris, que toute chose débute et toute chose s’achève. Il en va ainsi de moi, ainsi de vous, ainsi de tout. Le temps qui passe l’illustre si bien. Chaque chose vit et meurt et rien n’échappe a cette règle. Néanmoins, il arrive que la règle elle-même s’achève justifiant ainsi la nature profonde du monde, naître et renaître. Il existe bien sûr des constantes mais… Humm je vois que le sens de mes propos est délicat à suivre. Je veux simplement vous dire que même si il existe des forces libres dans l’univers, il en existe qui sont figées. Même si l’espoir existe de plier une règle figée, cela nécessite tant de force qu’il est quasiment impossible de le faire. Je veux vous mettre en garde contre vous, je veux vous mettre en garde contre elle, l’un et l’autre vous êtes en grand danger. Vous êtes par trop vulnérables l’un et l’autre et l’amour a cela en lui, il est double. D’abord parce qu’il est homme et femme, qu’il se nourrit de deux êtres. Ensuite parce que sous tous ses aspects il est soit constructeur, soit destructeur. Il est votre plus grande force, mais aussi votre plus grande faiblesse. Avez-vous songé à ce que vous feriez si l’harmonie était brisée ? ? ?
- Elle ne le sera jamais, cela n’a aucun sens.
- En êtes vous si sûr ? ? ?
- Oui, je le suis, vous avez vous-même admis que la règle elle-même trouvait son début et sa fin. Je peux moi vous affirmer et sans doute et c'est là la seule chose que je puis vous enseigner, que notre amour est immortel, qu’il ne redoute rien tant notre flamme est pure. Il en va ainsi de ceux qui se sont trouvés, de ceux qui sont prêts à se battre, de ceux qui sont prêts à mourir, de ceux qui sont prêts à revenir pour lui, pour qu’il vive encore et encore. Et cet amour là survit au temps qui passe et il continue à croître en force alimenté par la sagesse.
- Que feras-tu Siris, le jour maudit où elle partira, que feras-tu si elle détourne ses yeux de toi, que feras-tu le jour où la mort la prendra ? ? ?
- Je la chercherai Déliana, je la chercherai et je la trouverai. Je parcourrai le monde traversant forets et déserts. Je franchirai les mers, passerai les montagnes. J’irai dans les entrailles de la terre, au plus profond du monde. Et si cela ne suffit pas, si la mort me l’a volée, je quitterai mon corps et volerai vers elle. Je parcourrai l’univers, ce monde et tous les autres. J’endurerai le tourment et la désolation, j’affronterai le mal et le bien si il le faut. Je défierai la règle et la ferai mentir. Et si il le faut, je forgerai de nouveau et je trouverai les mots pour l’embraser encore. La flamme grandira et retrouvera sa force. Je serai lumière dans un gouffre de ténèbres, mais je réussirai car elle est ce que je suis.
- Et si malgré tout cela, si malgré tout tes efforts elle était maintenue loin de toi ? ? ?
- Alors je trouverai le cœur, le cœur de l’univers, je trouverai la source, l’origine de tout, celle qui dicte les règles. Je la supplierai de me rendre ma bien aimée, l’autre partie de moi-même. Et si elle refuse, si elle s’acharne encore, je la défierai elle-même lui montrant que la règle n’est qu’une règle et que l’amour peut être infini et qu’il les surpasse toutes. Je fusionnerai avec lui, le poussant à son paroxysme, j’y mettrai toutes mes forces et dans un ultime cri, je le libérerai dans une pluie d’étoiles. Mon étincelle de vie, mon moi éternel retournera au néant pour ne jamais renaître.
- Je comprends maintenant, je comprends bien mieux. Je sais qui vous êtes Siris FauconNeige, je sais ce que vous êtes. Je sais maintenant ce que tant d’autres ignorent. Il est curieux de voir comme vous-même avez conscience de choses que seul les érudits se targuent de maîtriser. Vous un protecteur… Ce que vous devinez ou pressentez de la structure de l’univers est impressionnant, mais comment pourrait-il en être autrement. Votre force n’est pas dans vos armes et elle les surpasse de très loin. Je sais que vous ne me devez rien Siris, mais je souhaiterais vous demander une faveur. De cela je pourrais avoir la réponse que je cherche et enfin je pourrais savoir.
- Que voulez vous Déliana ? ? ?
- Je voudrais voir votre aura. Je pense que vous avez idée de quoi il s’agit… Voir une aura est une chose dangereuse car cela nécessite un rituel minutieux. Mais ce n’est pas là le pire. Lorsque je serai près de vous, je partagerai vos émotions et si ma volonté flanche, vous risquez de me détruire. Nous allons partager des choses très intimes car il n’y aura pas de barrière. J’en apprendrai plus sur vous-même que vous n’en avez conscience.
- Pourquoi voulez-vous faire cela ?
- Pour savoir, pour savoir si l’amour est la plus belle des choses et la pire des maladies. Pour savoir si le grand amour existe ou si il n’est qu’utopie.
- Comment pouvez-vous douter de cela ? ? ? Je peux vous l’assurer.
- Votre aura me portera la réponse car elle vit au delà des choses qui ici nous influencent. Elle est ce que vous appelez votre âme, elle est vérité, la vérité absolue.
- J’accepte.
Déliana traça sur le sol le cercle de magie, des marques complexes, des enchevêtrements étranges. Puis elle prononça la formule idoine dans un langage oublié de tous ou presque. Elle laissa son esprit quitter son corps et s’élever lentement. Lorsqu’elle fut dégagée de ses chairs, elle regarda Siris et repéra le fil argenté qui partait de lui. Elle l’observa quelques instants et le suivit. Elle traversa l’espace et le temps, suivant toujours le fil. Enfin elle le trouva.
Son aura était si forte qu’elle se masqua les yeux, elle s’approcha pour mieux sentir et mieux voir. De nombreux fils d’argent traversaient l’aura du protecteur, la marque de tous ses amis, de ceux qui partageaient son cercle. Déliana était vraiment intriguée par la brillance de cette aura, elle n’osait pas faire corps avec elle de peur d’être engloutie. Sa propre aura pourtant renforcée par la force du voile n’était qu’une pâle lueur comparée a celle de Siris. Elle s’approcha néanmoins encore un peu, très lentement. Elle sentit alors une force lui faire barrage,. sans hostilité, mais avec fermeté. Déliana se tint alors à l’écart prudente et méfiante. A rester trop longtemps, elle courrait le risque de perdre son enveloppe charnelle, néanmoins, elle resta là . Enfin la vérité lui apparut, si simple et pourtant si improbable. Secouant la tête de droite et gauche elle sourit. Elle se livra alors à un exercice d’une grande simplicité… Elle compta les fils d’argent. Puis elle les recompta par trois fois. Enfin sûre d’elle, elle s’en retourna.
Lorsqu’elle fut maîtresse de ses gestes, elle s’aperçut que Siris la regardait inquiet. Elle le rassura aussitôt.
- Ne craignez rien, ni pour moi, ni pour vous, ni pour elle. J’ai vu ce que je voulais voir et j’ai eu une réponse des plus claires. Néanmoins, sachez que je n’ai pas… partagé vos émotions, elles restent à vous, enfin si l’on veut.
- Qu’avez-vous vu Déliana, dites-le moi.
- J’ai vu la règle brisée Siris, j’ai vu ce qui ne devait pas exister, j’ai vue une chose si rare qu’elle est mère des doutes les plus forts. J’ai vu enfin quelque chose que sans doute personne n’a vu avant moi.
- Et qu’est-ce donc ? ? ?
- J’ai vu deux âmes si parfaitement superposées qu’elles n’en faisaient plus qu’une.
Johnn Wood, chasseur d'étoiles.