La naine

[Khiller]

Khiprie, la jeune naine, resserra ses deux mains sur son bâton. Il lui venait de sa grand-mère, ce bâton était un vrai chef d’œuvre. Il mesurait environ quatre pieds, donc dépassait la tête de la naine d’un bon pied et demi. Et oui, Khiprie n’est pas très grande pour une naine… Le bâton, noueux à souhait, était fait d’un if des plus purs. Il avait été sélectionné avec soin justement pour la robustesse conférée par sa nodosité qui, bizarrement, n’influait aucunement sur sa rectitude. Ce bâton était aussi droit que peut l’être un rayon de soleil en plein midi. Afin de le protéger, ses extrémités étaient renforcées avec des plaques de cuivres incrustées de pierres semi-précieuses.

La jeune prêtresse attrapa donc son bâton. Elle commença à le faire tourner entre ses mains. D’aucuns s’étonnent de cette capacité qu’ont les nains à manipuler les objets. On pourrait croire que leurs doigts boudinés éprouveraient des difficultés à prendre les outils en main. Et pourtant ils sont d’une adresse à nulle autre pareille. Le bâton fut mis en mouvement, lentement d’abord, puis de plus en plus vite. Les molécules d’air déplacées autour de la rotation du bâton faisaient que l'on commença à entendre un vrombissement sourd, qui devint vite de plus en plus aigu. Le frottement de l’air autour du bâton commença à faire chauffer ses extrémités, les plaques de cuivre rougissant sous l’effet des multiples impacts des molécules d’air. Ces impacts provoquaient également la dislocation de ces molécules, entrainant un chargement du bâton en énergie électrique.

Pendant ce chargement, la prêtresse surveillait avec attention sa cible, un gnome verdâtre qu’elle avait surpris embusqué dans un fourré, un éclaireur sans doute. Il ne devait pas pouvoir rapporter ce qu'il ne manquerait surement pas de voir dans les prochaines minutes. Elle remarqua soudain un mouvement de l’oreille gauche de ce gnome, cette oreille… se tournant vers elle et, en même temps, toute la tête du gnome pivota en direction de la naine.

Le gnome, attiré par le vrombissement émanant du bâton, tourna la tête et vit la naine, entourée d’un cercle lumineux formé par les extrémités du bâton tournoyant. Le chasseur perçut immédiatement le danger et se félicita d’avoir dissimulé son fidèle adjoint… le squig ! Il ordonna immédiatement à son animal d’aller attaquer la naine. En plus, toute petite comme ça dans sa robe, elle allait vite se faire déchiqueter et dévorer par les mâchoires sur pattes du squig. Néanmoins, le chasseur décida de mettre toutes les chances de son côté en envoyant quelques flèches à son ennemie.

Vif comme l’éclair, il encocha une flèche sur son arc et banda son arme. Il visa rapidement (il a toujours été bon dans cet exercice) et lâcha sa flèche. Celle-ci, propulsée violemment par la détente de la corde, prit son vol vers le cœur de la naine, couvrant les cent cinquante pieds séparant les deux combattants en une seconde. La pointe de la flèche se rapprochait de la robe de sa victime, qu’elle allait traverser allègrement avant de trancher les chairs, de pénétrer la poitrine naissante de la prêtresse, et de trouver un cœur palpitant à arrêter. Sauf que… cela aurait été sans compter sur la rotation extrêmement rapide du bâton. Le bâton prit la flèche par le travers, brisant net la hampe du missile ainsi que son élan. La flèche fut instantanément pulvérisée, quelques éclats venant effleurer le visage de Khiprie. Cette dernière sentit à peine le contact entre son bâton et le projectile, concentrée qu’elle était sur sa cible, et sur les dents de rasoir du squig qui accourait vers elle. Le gnome, quant à lui, constata avec dépit la destruction de sa flèche et, pestant, en prit une seconde dans son carquois.

Soudain, le bâton s’arrêta.

L’énergie accumulée dans le bâton n’attendait qu’une chose : un endroit où aller se dissiper. Utilisant les années d’enseignements qu’elle avait suivi, la prêtresse focalisa toute la puissance de sa volonté pour canaliser la force électrique vers sa cible. Un éclair d’une intensité incroyable vint alors percuter le pauvre gnome. Ce dernier, sonné par la violence du choc, espéra qu’il n’y en aurait pas d’autres. Mais il voyait déjà le bâton de fabrication naine qui tournoyait à nouveau. Encourageant la course de son squig, il leva une main tremblante pour armer sa flèche.

Le squig, lui, ne pensait qu’à deux choses : mordre et manger.

Cela dit, son intelligence certes limitée lui permit d’appréhender le danger représenté par le bâton tournoyant. Il contourna ce bâton et fondit sur la naine, happant sauvagement la cuisse droite de celle-ci, ses dents déchiquetant le quadriceps en cherchant à aller broyer l’os.

Le gnome avait presque terminé de bander son arc et, au moment où il visa sa cible, il vit à nouveau le bâton s’arrêter. L’air se mit instantanément à crépiter à ses oreilles, comme si des abeilles venaient y bourdonner. Il y eut un coup de tonnerre et la dernière chose que vit le gnome fut un grand éclair blanc… suivi d’une obscurité autant salvatrice qu’éternelle.

Son maître n’étant plus, le squig perdit toute pugnacité. La naine l’écarta d’un petit coup de bâton et s’appliqua à lancer une incantation de soin sur sa cuisse. Les chairs meurtries se refermèrent en quelques instants, la douleur étant remplacée par un simple picotement.

Khiprie s’approcha des restes fumants du gnome, les fouilla de l’extrémité de son bâton et récupéra quelques pièces d’argent. Cela serait utile pour faire nettoyer et réparer sa robe.

Mais ce n’était pas fini, elle devait se hâter et rejoindre le reste de la troupe, la Bataille de Dok Karaz venait de commencer…