Une forêt.
Des zones de pénombre, d'autres éblouies du soleil matinal, taches de lumières où des milliers de gouttes de rosée font resplendir les longues herbes et fougères.
De grands arbres, majestueux, presque menaçants pour qui n'a pas grandi parmi eux. Des buissons, épais et fournis, avec de grosses épines rébarbatives.
Ce n'est sans doute pas pour rien que certains surnomment cet endroit la Forêt Maudite. Qui sait ce que cachent les recoins sombres, quels esprits maléfiques guettent sournoisement le voyageur égaré, ou le guerrier imprudent ?
Le silence est parfois traversé par le chant d'un oiseau qui salue le jour nouveau. Quelques bruissements de feuilles indiquant un animal passant non loin… amical ou prédateur ? Un glapissement retentit également, indéfinissable.
Univers sans doute oppressant pour la plupart des gens osant s'y aventurer.
Pourtant, entre deux larges troncs apparaît une jeune femme marchant d'un pas léger. Nulle inquiétude ne peut se lire sur son visage, que vient caresser – au rytme de sa marche - une minuscule tresse de cheveux roux. Elle porte une armure pourpre, une faucille pend à sa ceinture, et un gros marteau noir dans son dos démontre qu'elle saurait se défendre en cas d'attaque.
Elle n'est pas seule, un loup la suit. Ses oreilles sont attentives, mais il paraît détendu, reniflant de droite et de gauche, foulant l'herbe avec enthousiasme.
A les observer ainsi, on les sent en harmonie avec ce monde qui les entoure. La branche basse d'un énorme sapin bouge doucement, … on croirait y voir un hommage ou le facilitement du passage… mais les arbres ne communiquent pas avec les humains, n'est-ce pas ?
Un murmure se fait plus présent, de l'eau coule non loin. En effet, les deux compagnons approchent d'une rivière. Des hommes en noir sont là , immobiles, veillant sur une licorne immaculée. La femme les salue d'un silencieux mouvement de tête. Mélange de respect et de froideur. Ils n'y répondent que d'un regard peu aimable. Visiblement ils tolèrent cette visite mais ne l'approuvent guère.
Phaey s'approche de l'animal et lui caresse les naseaux, d'un geste empreint de douceur. Elle murmure quelques mots, sourit avec tendresse, puis continue sa route. Son loup a frotté son museau contre les jarrets de la licorne, qui étonnament n'a pas exprimé la moindre crainte à ce contact.
Tous deux traversent la rivière, dont les remous semblent s'aplanir quelques instants. Un jeune ours se baignant sur la rive grogne à leur approche mais n'insiste pas et plonge sans demander son reste en voyant un croc bien aiguisé briller sur la babine inférieure du loup.
Arrivés à une clairière proche, la jeune femme s'assied et pose son baluchon. Moment de calme où tout deux sèchent au soleil. Calme dont Krok se lasse vite, commençant à batifoler dans les herbes, courant après une abeille qui se promène entre deux fleurs.
Phaey sourit. Déposant ses armes, elle se lève et approche de deux buissons. Les contournant, elle se penche sur un carré de terre semblant étrangement cultivé. Du bout d'un doigt elle caresse une pousse, tout en fredonnant une mélodie très douce. Les jeunes plantes semblent se redresser sous l'encouragement.
Soudain, le loup vient d'un bond vers sa maîtresse, les oreilles inquiètes. La druidesse délaisse du regard le jardin magique et écoute.
Dans le lointain, un gémissement sourd.
Puis plus rien.
Puis à nouveau, très faiblement.
Phaey rattache prestement ses armes, intime d'un regard l'ordre à son loup de la suivre. Ordre sans doute inutile, d'ailleurs. Ensemble ils sortent de la clairière, du même pas souple.
Ils avancent avec prudence. La forêt par ici est plus sombre, nul oiseau n'y chante. On est proche du territoire des parthéléoniens, qui tuent sans discernement quiconque ose s'aventurer près de leur campement sinistre.
Ils s'enfoncent encore, uniquement dirigés par leur instinct, car les gémissements ont cessés. Ils contournent soigneusement les pierrailles servant de repaire aux goborchends. Il faut traverser quelques mètres sans feuillage pour s'y cacher, et un éclaireur veille, debout sur un caillou. Tant la druidesse que le loup s'immobilisent, une minute… deux. Le goborchend dirigeant son regard et sa vigilance vers le nord, ils en profitent pour reprendre leur route, silencieusement, se dissimulant à nouveau derrière d'épais buissons.
Le jeune femme hésite sur la direction à choisir. Krok hume l'air et opte pour le nord-est. Quelques arbres plus loin, le loup se stoppe net.
Là dans les herbes, à trois mètres, une forme couchée sur le flanc. Phaey s'approche… c'est une jeune lurikeen.
Vêtue d'une tunique déchirée, à demi cachée par un large morceau de cuivre sur lequel une de ses mains se cramponne encore. Elle semble inanimée, les bras tout écorchés comme si elle avait couru parmi des broussailles agressives.
La druidesse s'agenouille, dénoue les doigts crispés sur la poignée du bouclier tout bosselé. Elle retourne la lurikeen avec précaution, pour la mettre sur le dos, dénoue sa propre cape et la roule pour confectionner un oreiller. Dans le mouvement, la petite blessée ouvre soudain les yeux, de grands yeux bleus qui lui mangent le visage. Elle semble un instant effrayée par Krok, tout proche, mais reperd connaissance.
Elle a une vilaine blessure à la cheville. Phaey confectionne rapidement un bandage de fortune puis soulève la lurikeen qu'elle installe avec des gestes doux sur le dos du loup, qui attend sagement qu'elle ait terminé de nouer quelques liens de cuir pour assurer le confort de la blessée.
Tous trois se mettent en chemin, lentement. Krok marche avec précaution, comme conscient de sa responsabilité face au colis vivant qu'il transporte. La route est longue, car ils prennent soin de contourner toute la forêt et ses dangers, d'abord vers le nord, puis vers l'ouest.
La lurikeen gémit doucement parfois, mais sans s'éveiller.
La nuit tombe lorsqu'ils arrivent enfin à la maison des Messagers Sacrés.
Personne pour les accueillir, sans doute le clan est-il réuni pour aller guerroyer sur les terres ennemies.
Phaey installe la lurikeen sur une confortable peau devant le tour à bois. Alors qu'elle inspecte la blessure et applique un onguent, elle se sent observée. La blessée a rouvert les yeux, le regard empli d'inquiétude et d'interrogations.
- Bonjour, ne crains rien, tu es en sécurité ici. La druidesse parle avec sa gentillesse habituelle, et le son de sa voix semble apaiser la petite guerrière.
- Je suis Phaey. Guère douée en soins, mais je vais faire de mon mieux. Comment t'appelles-tu ?
La blessée se contente de remuer la tête en geste de refus.
La druidesse sait qu'il existe parfois des blessures plus profondes qu'une cheville ensanglantée et n'insiste pas, continuant toutefois à bavarder doucement, pour distraire la petite de sa douleur.
- Au vu de ta taille et du bouclier qui te cachait à moitié - et qui t'a sans doute sauvé la vie- , je vais te surnommer Demih. Tu choisiras plus tard de conter ton histoire ou pas, et de nous dire ton vrai nom. De rester ou de partir, également. En attendant, je vais demander à Tower de t'accueillir dans notre clan. Etre entourée de gens joyeux et attentifs ne peut te faire que du bien.
Tu verras, notre Tyran est impressionnant par sa carrure, mais il est très gentil et rempli d'honneur.
Phaey raconte ainsi plusieurs membres du clan, les décrivant d'un mot ou d'une phrase amusée, d'un ton berçant, jusqu'à ce que la petite blessée se rendorme enfin, épuisée par le sang perdu et les aventures subies.
La druidesse la laisse alors sous loeil attentif de Krok et part fouiller les coffres de guilde afin de trouver de quoi équiper cette nouvelle venue dans le clan… une rapière, une tenue d'écailles colorées, et une grand bouclier rectangulaire pour remplacer celui tout bosselé.
Je demanderai à Ajalon, Wise et Sebio de lui enseigner leur métier… nul doute que cette résistante petite luri fera une excellente protectrice, murmure-t-elle pour elle-même…
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