Eveil

[Dame Morniefea]

On dit que la musique a pouvoir sur les cœurs. Dans un monde comme le nôtre, cela est particulièrement vrai ; les peuples des trois royaumes en ont fréquemment la preuve.
Allons, allons, ne jouez pas les insensibles. Nous avons tous senti, à un moment ou à un autre, nos cœurs battant soudain plus vite, entrainé par les notes d'un Barde - ou nous avons au contraire été envahis par un calme surnaturel et presque magique, éclairant nos esprits et en écartant les dissonances du monde extérieur au gré des sons tirés de leur flûte.
Ils peuvent même plus encore. Il y a maintes façons de mêler son et magie, et il ne s'agit certainement pas d'une exclusive d'Hibernia ; Midgard et Albion ont des artistes mêlant son et magie très capables, eux aussi.

Mais ce n'en sont pas moins des enfants.
Oh, ils ont le mérite d'avoir compris qu'on peut agir sur l'âme par l'intermédiaire de sons...
Mais ils se servent de sons pour faire de la magie, plutôt que d'user de magie au service du Son. Et ils passent de la sorte bien loin, terriblement loin d'un pouvoir presque à leur portée...
Et qu'ils refusent de ne serait-ce qu'envisager.

Oh, je sais, je les critique, je les rabaisse, je les infantilise ; alors que tous seraient capables, sans doute, de me tuer d'une note de pouvoir ; cette note si puissante, mais dont ils sont incapables d'expliquer le pouvoir.
Et de toutes les façons, je sors à peine de la torpeur où cette maudite m'a plongée, orivée de presque toute ma mémoire, et de tout mon pouvoir.

Mon sommeil a duré si longtemps... Même maintenant, je ne suis pas encore libérée de l'emprise de l'enchantement que j'ai subi, et je passe l'essentiel de mon temps incapable de me mouvoir ou de penser, à flotter dans les ténèbres, assaillie par les sensations et les échos des pensées de multiples jeunes femmes, elfes, celtes et lurikeens. Et, dans l'ombre, celle d'une dernière femme, que j'ai connu et maintenant oublié.
Je n'ai qu'une seule certitude à son sujet.

Je la hais.

C'est un des rares lambeaux de mémoire auxquels je peux me raccrocher. Je ne me souviens qu'à peine de ce que j'ai pu être, et encore moins de qui j'ai été. Pendant un mois j'ai erré, avec pour seule certitude un prénom : Legate. Un prénom qui m'a appris, à lui seul, un certain nombre de choses, au fil des heures passées à parcourir les parchemins et tablettes de Tir na Nog.

Tout d'abord, ce prénom ne vient pas de ce côté de la mer celte. Il pourrait venir de la côte en face, celle d'Albion, j'en conviens. Voire même d'encore plus loin, du continent dont on ne parle que si peu dans l'histoire écrite, obnubilée qu'est Hibernia par le legs d'Arthur et l'aggressivité de Midgard.
Et pourtant, ce prénom remonte bien avant cette guerre ; bien avant Arthur et ses heures de gloire. Il remonte à l'antique Rome, cet Empire qui s'étendait autrefois de l'Océan aux mers extérieures. Un monde qui me semble étrangement plus familier que celui dans lequel je m'éveille.

Mais tout cela est si lointain, si flou, si obscurci par l'enchantement que j'ai subi que je ne peux prétendre à juste titre m'en souvenir.
Je me raccroche à une certitude... La magie du Son me permettra de retrouver petit à petit mes souvenirs ; tandis que ma puissance reviendra, je suis certaine que les harmoniques purifieront peu à peu mon âme de la magie qui la parasite.
Cela a déjà commencé.
J'ai maintenant un nom.

Je suis Legate Mortifera, la Dame aux Cent Visages.