Adèle.

Après une longue journée de bataille, venez en ce lieu, boire et discuter entre amis.

Adèle.

Messagepar Symbia » Jeu 23 Mars 2006, 13:44

Bien, comme je vous ai embêtés avec mes histoires de morsures et autres choses sanglantes, je ne vais pas m'arrêter en si bon chemin!
Je vous soumets donc le BG de mon loup-garou.
Je serais ravie d'avoir vos avis concernant ce texte qui, je l'espère, ne vous paraîtra pas trop long.
Je le mets ici et non dans la section réservée aux conteurs, vu que ça n'a rien à voir avec DAoC!
Bisous!



Sur une table à l'épais plateau de bois brut, la patine du temps a déposé son vernis et émoussé les nervures, conférant sa douceur au plan de travail.
Les lourds plis de la jupe cyan d'une jeune fille attablée épousent la forme d'un tabouret du même bois vieilli. Les boucles rousses retenues par une coiffe aux entrelas de cuivre, elle laisse ses mains rapides et précises trier les herbes récoltées du jour. Tout cela sous le contrôle attentif de ses yeux d'aigue-marine.
Une fois cette tâche accomplie, elle lie les tiges des plantes entre elles et dépose les petits paquets sur un séchoir rudimentaire.
Il ne reste plus sur la table qu'une poignée d'herbes fraîches où perle encore la rosée. La lumière, filtrée par l'unique fenêtre de cette cabane adossée à la lisière de la forêt, y dépose de minuscules arcs-en-ciel. Dehors, les oiseaux pépient sur les branches, à l'ombre des larges feuilles, présents de l'été naissant.

A l'intérieur de la cabane, une toux rauque exhale:
- Adèle... ma tisane...
A ces mots, la jeune femme jette quelques-unes des herbes aux gouttelettes irisées dans l'eau qui frémit sur le feu et où flottent déjà des morceaux de bois.
Ses gestes sont calmes et mesurés.
Sur la poutre craquelée qui sert de linteau à la cheminée, elle prend un bol de grès qu'elle remplit de gruau mijoté sur les braises du foyer. Elle parsème ce met frugal de quelques lambeaux de viande séchée.
Puis elle verse l'eau où ont infusé ciboulette et écorce de saule dans un autre bol, ébréché sur le bord. Cela déposé sur un plateau avec une cuiller en bois, elle s'accroupit près de la couche de sa mère, tapie dans un coin sombre, isolée du reste de la pièce par une tenture de lin aux broderies passées.
En réponse à la grimace de la souffrante qui ingurgite le breuvage, Adèle sourit et conseille, d'une voix aimante:
- Buvez tout d'un coup, Mère. Et éloignez l'âcreté de la boisson avec la douceur enveloppante de la pitance.
Alors, consciencieusement, patiemment, elle nourrit à petites bouchées celle qui l'a allaitée.
Sa mère, qui lui a transmis ses connaissances.
Sa mère, qu'elle tente d'apaiser grâce à cet héritage.
Une fois le repas achevé, la jeune femme efface de ses doigts légers et bienfaisants l'inquiétude et la douleur du front de celle qui lui a appris les mots qui guérissent.
Elle sort par la petite porte ouverte afin de laisser entrer l'air sain du dehors, et s'étire au doux soleil de juin. Elle lave sa vaisselle à la source qui court sur le côté de la modeste chaumière.

Soudain, les narines dilatées, les yeux étrécis, tous les sens en alerte, elle scrute la forêt à la recherche de la source du bruit qui l'a arrachée à sa rêverie. Elle arrondit les épaules, prend un appui stable sur ses jambes légèrement écartées et fléchies. Elle perçoit une ombre, entend les fourrés se froisser sous les cabrioles d'un daim dont l'odeur qui lui parvient lui apprend qu'il est à peine séparé de la mère.
Tendre gibier, précisément visualisé en pensée par la chasseresse.
Enfant de la forêt, elle se ramasse sur elle-même, prête à se lancer à la poursuite du daim. Immobile.


Quelques secondes passent.
Adèle se redresse, secoue la tête dans un signe d'abnégation, une main posée sur sa nuque.
Elle se dirige vers le ru, relève un pan de sa jupe dans sa large ceinture à la boucle de bronze. Puis elle s'agenouille, et s'asperge le visage de l'eau si fraîche, recueillie au creux de ses mains. Sortie de sa torpeur, elle réajuste sa mise et rejoint sa cabane.
Une fois les ustensiles de cuisine rangés, elle dispose sur la table un parchemin acquis sur le marché, la semaine passée. A côté du rouleau, elle pose une plume taillée avec soin, et une petite boîte de métal.
Sa décision est prise: elle va consigner par écrit ce qui a chamboulé son existence si tranquille.
Elle humecte la pierre noire que sa mère lui a léguée. Substance délicate rangée dans une boîte d'argent aux fines ciselures florales.
Un prince en avait fait don à celle qui, aidée par la Nature et les chants secrets avait ramené le rose aux joues du fils unique, là où les saignées des médecins s'étaient avérées destructrices.
Le séjour dans le domaine du suzerain avait été l'occasion pour la mère d'Adèle de parfaire son écriture, sous la tutelle d'un copiste.
Dans la cabane, le regard grave, les lèvres légèrement pincées par l'application, la jeune femme noircit le parchemin vierge:




Le 13 juin 1606,


Le cauchemar a débuté il y a de celà un mois.
Mère avait été appelée en soirée pour aider une femme d'un village voisin à mettre au monde son premier enfant. L'accouchement s'était déroulé à merveille et tous les soins prodigués lorsque Mère s'en retourna, au milieu de la nuit.
Elle m'a rapporté s'être attardée en route pour prélever de jeunes pousses de lierre sur le grand merisier, un peu à l'écart du chemin. C'est en mettant ce butin dans la poche de son tablier qu'elle a senti une présence. Elle a tout de suite pensé qu'un villageois la recherchait pour lui demander une aide quelconque.
Mais, lorsqu'elle s'est retournée pour faire face à cette personne, c'est un être tout droit sorti des Enfers qui s'est penché sur elle. Elle se rappelle très bien l'odeur de moisissure qui émanait de la chevelure de celui qui lui volait sa chaleur vitale. Elle n'opposa aucune résistance, paralysée par la stupeur.
La Nuit s'est emparée de Mère.
Elle n'est revenue à elle qu'à l'aurore et a rejoint notre chaumière, faible et trébuchant de nombreuses fois, laissant les ronces déchirer ses habits. Je l'ai recueillie en guenilles, le visage, les mains et les vêtements maculés de boue. Ses cheveux en désordre, mêlés d'herbes et de végétaux secs, voilaient son regard hagard, sa mine hébétée.
Elle me conta l'horreur qui était née des Ténèbres et qui allait nous y plonger irrémédiablement.
Je me figure que lors de l'agression, elle a trouvé la force d'incanter des formules pour repousser l'immondice. Toutefois, elle doit payer le prix d'être restée en vie. N'ayant pas goûté au sang de son agresseur, elle n'est pas devenue ... une de ses semblables.
Cependant, la morsure a souillé son sang et l'a extrêmement affaiblie. Elle lutte sans cesse contre la pourriture qui cherche à ronger son organisme.
Au lendemain de l'attaque, éprouvant découragement et dégoût face à ce qui nous arrivait, j'ai relevé le front et pris la décision de ne jamais me laisser abattre et de toujours seconder ma mère, mon maître, dans son combat. Ainsi, je la veille et mets toutes mes potions et mon ingéniosité à contribution pour que le calme et la santé reprennent leur empire sur cette femme si belle, si douce et dévouée au bien.

Un soir de la semaine passée, il y a exactement 7 jours, je décidai de sortir et d'errer dans les environs. Mère se reposait, droguée par les herbes que j'avais fait brûler près de son lit, dans l'espoir de lui procurer un sommeil réparateur. Mes pas me menèrent à l'océan.
J'aspirais à l'immensité pour briser ma routine de garde-malade prise au piège de l'agitation et du renoncement de sa patiente. L'air frais, l'infini de la voûte céleste, le bruit cadencé des vagues léchant la plage m'offrirent la sérénité.
La jupe relevée jusqu'aux genoux, je marchais dans l'écume, minuscules perles aérées, don de la mer à la déesse Terre. Le soleil rasant me réchauffait encore et je me ressourçais dans cette quiétude parfaite.

Mon regard s'arrêta sur la dune.
Une silhouette s'y détachait.
Le souvenir de l'expérience de Mère me glaça. J'étais tétanisée, dans l'expectative.
La silhouette se dirigeait vers moi.
Je me forçai à me calmer, à respirer profondément de manière à ressentir les éléments qui m'entouraient.
Je ne perçus aucune onde de danger. L'air du soir m'enveloppait de sa douceur et celui qui s'approchait partageait cette paix environnante.
Peu à peu je me détendais, jusqu'à reconnaître Philippe, un garçon habitant Machecoul, à quelques lieues de là.
J'accueillais cette compagnie de bonne grâce, heureuse à l'idée d'entendre une voix vivante, vibrante, qui me changerait des soupirs et des silences de la maison. J'étais ravie d'échanger des nouvelles de mon village contre celles d'un autre comté.
L'idée de me rendre la semaine suivante au marché de ce bourg me traversa même l'esprit ; j'en reviendrais le panier plein de provisions et de ragots à rapporter à Mère qui s'ennuyait quand elle ne délirait pas.
Bref, la discussion avec ce jeune homme contribuerait sans doute au bol d'air que je m'accordais.
Mes attentes ne furent pas déçues. Notre conversation prit rapidement un air de camaraderie et souvent nous riions à l'unisson. Assis sur la plage, échangeant des propos enjoués, nous nous amusions tantôt à capturer des puces des sables, tantôt à déterrer couteaux et autres coquillages.
Je ne lui parlai pas de Mère car je ne voulais attirer la curiosité de personne. Déjà je me rendais à sa place auprès des malades, prétextant une indisposition quelconque de Mère. Les gens me faisaient confiance en matière de soins et d'assistance. De plus il me fallait bien un jour prendre le relais ; tout pouvait s'expliquer de manière banale et rationelle.
Alors que nous causions, enthousiasmés par notre rencontre, l'horizon s'enflamma. Philippe se leva d'un bond en se renfrognant.
Ce changement subit d'attitude me surprit. Mon compagnon m'expliqua que des disparitions avaient lieu dans son voisinage à la nuit tombée depuis quelques temps: que cette nuit, son père et lui-même étaient de garde après le couvre-feu instauré par la communauté.
Nous nous résolûmes donc à nous séparer, non sans nous promettre de nous retrouver, les jours suivants, sur cette même plage.

Durant nos embrassades, le soleil sombra bien vite sous la ligne d'horizon. La lune prit possession de son domaine. Elle était ronde et scintillait de cet éclat propre aux nuits sans nuage.
Philippe tomba à genoux à mes pieds.
Je tentais de le relever, mais un râle aux accents désespérés émanant de sa poitrine me fit reculer.
Il se contorsionnait de douleur. Sa peau bouillonnait.
Je portai mes mains à mon visage pour étouffer le cri d'effroi qui nouait ma gorge à la vue de ce spectacle.
Là où quelques minutes auparavant un jeune homme me souriait, se dressait à présent une abomination hirsute.
L'égarement me figeait. Bouche bée, j'observais le rictus déformant ces babines qui se substituaient à la bouche généreuse que je me languissais d'embrasser tout au long de la soirée.
Cette pensée fit étinceler mon regard.
La bête y planta le sien.
Mon sentiment fugace lui sembla plaisant ; elle ouvrit la bouche et la referma sur mes lèvres, déchirant mes joues, déchaînant un torrent de larmes brûlantes.
Une de ces larmes trouva sa route jusqu'à la truffe de la créature qui poussa un hurlement de rage et s'enfuit.

Je m'écroulai dans le sable.
Je ne voulais plus bouger. Je désirais fermer les yeux pour ne jamais plus les ouvrir. Me laisser aller dans les frous-frous de mes jupons, dernier bastion douillet au milieu de l'atrocité...
La peur, l'angoisse et le désespoir m'avaient épuisée.
Je me réveillai au petit jour.
Je m'obstinais à garder les yeux clos, de peur de me consumer au bûcher de la pureté du jour.
Mais les images de la soirée passée défilaient sur l'écran noir de mes paupières fermés. Alors, craintive, je permis à la lumière de violer mes retranchements.
La nuit vola en mille éclats s'éparpillant en tous sens.
Confuse, je me rappelai la morsure. Je portai des doigts tremblants à mon visage.
A mon grand étonnement, je ne rencontrai pas le contact d'une plaie béante. Je ne sentis que quelques boursouflures douloureuses.
Abasourdie par cette sensation, je rejoignis en courant la maison. Mère dormait toujours, à mon grand soulagement.
Mon reflet dans le miroir me confirma la cicatrisation avancée de mes chairs déchiquetées quelques heures plus tôt.
Ma journée se passa à prodiguer des soins à Mère que l'esprit embrumé empêcha de remarquer les tuméfactions qui me défiguraient.
J'en accélérais la guérison par l'application d'onguent à base d'arnica.
Le soir venu, lendemain de pleine lune, j'étais totalement rétablie. A mesure que le soleil déclinait, je me sentais croître en vigueur.
La nuit vint.
L'obscurité nocturne recouvrit de son voile ma mémoire : je n'ai aucun souvenir de mes activités, ce soir-là. Au matin suivant, je me réveillai dans les buissons à l'orée de la clairière qui abrite notre chaumière.
J'imagine m'être transformée en cette même chose qui a pris possession de Philippe.

Toute la semaine qui vient de s'écouler, je me suis documentée, écumant les ouvrages de la bibliothèque de Mère pour y lire tout ce qui concerne la lycanthropie. Oh, ce sont majoritairement des remèdes pour éloigner le mal, que j'ai trouvés.
Cependant, j'ai appris qu'il y a moyen de contrôler les transformations, de dominer la bête qui sommeille en soi.
Or, c'est à cela que je veux parvenir.
Je veux dompter la force du loup et l'utiliser contre ceux qui ont anéanti ma mère.
Le jour, je continuerai à l'assister, en tant que guérisseuse.
Mais trois nuits par lune, je n'aurai de cesse de la venger, femme-garou, exterminant de sa sauvagerie tous les vampires que je débusquerai!
Dernière édition par Symbia le Ven 24 Mars 2006, 10:19, édité 2 fois.
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Messagepar Avalo » Jeu 23 Mars 2006, 14:17

Tres joli, il en faut de l'inspiration et de l'imagination pour raconter aussi bien une histoire sur un fond aussi noir :)
ça donnerai presque envie de faire partie de l'aventure ^^
J'aime bien le principe de l'introduction contamporaine qui presente les personnages puis de flashback racontant leur histoire.
Juste l'agression de la mere qui arrive peut-etre un peu vite, par un etre dont tu aurais pu peut-etre aussi créer un background, comme pour Philippe mais sinon y'a rien a redire :)

ça fait penser un peu a du Tolkien, tres detaillé et un peu lourd dans le vocabulaire utilisé, j'aime bien, enfin je suis pas un grand litteraire et ma culture de matiere de bouquins est plutot limité, alors ce n'est qu'un modeste avis d'inculte :wink:

On a le droit a une suite ? :D
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Messagepar Honeybunch » Jeu 23 Mars 2006, 14:25

Eh bien... le temps est venu de tresser des colliers d'ail, et de faire provision de belladone et d'aconit.

Cette histoire est très jolie, très prenante, mais, un instant, lorsque Philippe s'est jeté avec voracité sur la pauvre fille, j'ai eu peur que la scène ne dégénère en charcuterie, et qu'elle ne soit morte, Adèle.



<je suis déjà dehors>
Encore des histoires :D .
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Messagepar Aladore » Jeu 23 Mars 2006, 14:26

Dame Morniefa a écrit:là en revanche il faut se calmer sur le flood





Pas mal du tout sinon, intéressant. ;)
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Messagepar Symbia » Jeu 23 Mars 2006, 14:33

Merci!
Ca me ravit, une réponse aussi rapide et positive :oops:

Pour répondre à tes remarques, toutes constructives, et je l'apprécie, procédons par points:

< remonte ses lunettes >

Point: Oui, il y aura une suite.

Point: L'agression de la mère arrive vite, car elle précède le tout. J'ai décrit le quotidien des deux femmes puis ai voulu brisé l'équilibre en introduisant une brusquerie.

Point: Je n'ai rien dit du vampire qui a attaqué la mère car les protagonistes n'en savent rien, de l'histoire de cette créature. Et à mon niveau de narratrice, je ne voulais pas m'y attarder, le centre d'intérêt du récit étant focalisé sur les loups-garous.

Point: Bon, pour ce qui est de la comparaison avec Tolkien ...
Que faire, que dire si ce n'est que là, paf je suis flattée.
Mais ce serait mentir par omission que de ne pas te dire que mon visage a fait une petite grimace en lisant cette ligne!
Je n'ai jamais pu lire plus de 100 pages de Tolkien... et pourtant je me suis obstinée, 3 ans durant à finir L'Education sentimentale de Flaubert.
C'est pour dire!! Je peux me forcer à lire des choses que je trouve rébarbatives! :#
J'espère que la lecture de mes textes est moins soporiphique. Image

Un grand merci encore Avalo!


Et vas-y que j'ai 2 réponses entre temps!
Désolée pour le flood, Doudou:(

Honey... lâche cet ail, tu vas faire fuir la donzelle! :lol:
Et LOL la charcuterie et morte, Adèle!! Je viens juste de comprendre! Après relecture...Image
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